Enquête : Un marché caché au coeur de l'emploi

Mis à jour le 03 Juin 2025
fabienne.baschet
Trente ans déjà. À Angers, et dans la région Pays de la Loire, le marché caché est au cœur des stratégies de retour vers l'emploi, depuis trente ans, avec pour les demandeurs des ateliers « physiques » d'une durée de cinq semaines, à raison de quatre jours par semaine, et de quatre sessions par an. De 12 à 14 « clubbeurs » en profitent à chaque fois. Ce sujet rencontre toujours un vif intérêt. Cadres, capés ou non, techniciens, diplômés de haut vol ou sans qualification, au total 3000 personnes ont ainsi été accompagnées.
« Des mouvements se passent en entreprise, avant une annonce, note Mustafa Gursal, directeur de la Boutique club emploi de Limoges, en charge de cette prestation. Voilà ce qu'on leur apprend, mais il ne leur est pas facile de démarcher les sociétés, de recueillir des informations, pour mieux se positionner. La réticence est de mise. »
Mickael Ruau propose des événements en ligne sur la même thématique pour les pros de la tech. Et là encore, l'audience est au rendez-vous : 78 contacts connectés à l'instant T, mais 1171 « replays » à la dernière session. Il y a un marché... du marché caché de l'emploi.
Mythe ou réalité ?
Contacté par Stratégies, un économiste de l'emploi préfère botter en touche en renvoyant vers des données consolidées. La littérature sur le sujet foisonne, il est vrai, de chiffres très variables, voire fantasques. Mais le spécialiste de l'intérim et des ressources humaines Randstad vient tout juste de publier une étude de près de 30 pages selon laquelle le poids de ce marché invisible atteindrait 57% des emplois. Autrement dit, plus d'une offre de poste vacant sur deux passe sous les radars, avec aucune annonce, digitale ou pas, et à la clé plus de neuf millions d'embauches réalisées en 2024.
« La rentabilité et la pertinence des offres d'emploi publiées font débat, commente Jean Pralong, professeur à l'École de management de Normandie. Elles coûtent cher, et le retour sur investissement n'est pas toujours au rendez-vous. Cela ressemble à la pêche au chalut. »
Des disparités régionales
L'intérêt d'un marché caché ? Il est moins concurrentiel pour les candidats comme pour les entreprises, avec moins de tri à effectuer. Arnaud Katz, à la tête de Kactus, plateforme spécialisée dans l'événementiel dont le secteur a fait face à un surcroît d'activité en 2024 avec les JO, reconnaît l'utiliser pour « les postes à enjeux ». Emplois précaires, ou postes à hautes responsabilités, les deux extrémités de l'organigramme sont en réalité concernées.
La taille de l'entreprise compte aussi. « Plus on est sur un petit marché, et plus le réseau des connaissances est activé », dit-il. Plus la mission est de courte durée également. Les TPE ont fortement recours au réseau.
« Les très petites entreprises fonctionnent à hauteur de 70% avec ce levier de recrutement, commente Marko Vujasivonic, fondateur de Meteojob, un site de matching d'emploi. Elles ne disposent pas de DRH. »
Un outil à ne pas négliger non plus dès les premiers pas dans un métier.
« Les débutants pensent le réseau réservé aux plus âgés, déplore Hervé Bommelaer, consultant en transition de carrière. Universités, business schools ou écoles d'ingénieurs n'enseignent pas comment travailler un réseau, premier cercle, deuxième... »
À y regarder de plus près, le marché caché recouvre des réalités bien différentes. Ainsi, la dernière étude de Randstad a-t-elle passé en revue les données pour chacune des grandes régions françaises. Et les disparités sont palpables. Le réseautage règne en maître à Paris. La capitale affiche un taux de marché invisible de 75% – c'est le cas aussi en Corse –, soit près de vingt points de plus que dans les Pays de la Loire (47%).
Des taux assez faibles aussi en Nouvelle-Aquitaine, en Bretagne en Auvergne-Rhône-Alpes. En revanche, les départements de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne sont gratifiés – respectivement – de 68% et 64% de jobs non visibles. Et des différences se font jour selon les métiers. Les chances d'accès à l'emploi sans réseau sont nettement plus développées en Bretagne pour un cuisinier qu'en Île-de-France ou en Provence-Alpes-Côte d'Azur.
« Les offres d'emploi constituent un reflet du marché de l'emploi, mais il est partiel, commente Yves Loiseau, fondateur de Resource Lab. La mobilité interne et le recours aux free-lances y échappent. Et 12,6% des personnes en emploi ne sont pas salariées. »
L'offre d'emploi a pourtant ses vertus. Elle contribue à la transparence d'un écosystème. « Le marché caché répond souvent à différentes logiques de maximisation des délais, des coûts et des risques, précise Philippe Archias, directeur chez Julhiet Sterwen, cabinet de conseil en transformation. Limité en Allemagne, il est plus répandu en Italie. Il est alors intégré au mode de fonctionnement classique. Avec le développement de l'intelligence artificielle, qui permet d'envoyer en masse des candidatures, la tentation est grande de ne plus publier du tout. »
Le marché invisible n'est ainsi pas près de se tarir. Et ce d'autant que de grands groupes développent des programmes régionaux d'échange de talents à recruter, selon Vincent Binetruy, directeur du Top Employers Institute : « Un marché caché à deux entités, presque un pacte de non-agression. »
« Les offres d'emploi constituent un reflet partiel du marché de l'emploi. La mobilité interne et le recours aux free-lances y échappent. » - Yves Loiseau
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